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Trois questions à Ludovica Anedda, de l’ONG Care France

Ludovica Anedda

Société civile Chargée de plaidoyer sur l'égalité des genres et les droits des femmes - CARE International UK

Ludovica Anedda est chargée de plaidoyer sur l’égalité de genre pour l’ONG CARE France. Elle mène des campagnes de plaidoyer pour veiller à ce que la politique étrangère de la France soit aussi féministe dans les actes que dans les discours. Elle a joué un rôle-clé dans la coordination du mouvement Women 7 en 2019, dans le cadre de la présidence française du G7. Ce mouvement a obtenu des engagements ambitieux et féministes des pays du G7, comme la création du Fonds de soutien aux organisations féministes. En 2021, Ludovica Anedda suit très étroitement le processus du Forum Génération Égalité aux niveaux français et international. Avec plusieurs partenaires de la société civile, elle porte aussi la campagne #stopviolencesautravail pour obtenir la ratification par la France de la Convention 190 de l’Organisation internationale du Travail contre la violence et le harcèlement au travail.

A quelques semaines du Forum Génération Égalité à Paris et à l’occasion du lancement du site expertesgenre.fr, Ludovica Anedda nous explique le plaidoyer mené par CARE France en matière d’égalité de genre, notamment dans le contexte du Forum.

Expertes Genre : Quels sont selon vous les enjeux centraux du plaidoyer en faveur de l’égalité de genre dans les pays en développement aujourd’hui ? Comment ce plaidoyer s’articule-t-il avec les autres thématiques portées par CARE France ?

Ludovica Anedda : Dans ce contexte de pandémie mondiale, l’autonomisation des femmes et des filles est un enjeu majeur. La crise du Covid-19 a exacerbé les inégalités existantes entre les genres. Plus de 126 millions de femmes travaillent dans le secteur informel, comme le travail domestique, et n’ont pas accès à une réelle protection sociale. Ce n’est pas acceptable ! Dans le cadre du Forum Génération Égalité, le réseau CARE International a été retenu parmi les champion·ne·s d’une coalition multi-actrices sur la justice et les droits économiques, justement pour proposer et mettre en place des solutions à ces enjeux.

Quand on parle de justice économique, on parle aussi du droit des femmes, et des groupes les plus marginalisés, à pouvoir évoluer dans un monde du travail sûr et sans violence ni harcèlement. Aujourd’hui, un pays sur trois n’a pas de législation interdisant spécifiquement le harcèlement sexuel sur le lieu de travail. Pourtant, il existe une convention internationale, la Convention 190 de l’Organisation Internationale du Travail, que tous les États, y compris la France, doivent ratifier et appliquer au niveau national avec des réformes législatives. La ratification, et l‘application de cette convention permettrait de répondre à plusieurs enjeux exacerbés par la pandémie de COVID-19 :

  • Lutter contre la « pandémie de l’ombre » des violences basées sur le genre ;
  • Protéger les travailleuses et travailleurs dans le secteur formel et informel ;
  • Prendre en compte l’impact que la violence domestique a sur la vie des victimes, y compris sur leur participation dans le monde de travail et, en conséquence, sur leur indépendance économique.

Depuis 2018, CARE se mobilise dans toutes les régions du monde, avec des ONGs et associations féministes ainsi qu’avec les syndicats pour porter ce plaidoyer spécifique.

Le plaidoyer de CARE couvre aussi les crises humanitaires et climatiques en accordant une place centrale à l’approche genre. Par exemple, nous portons un plaidoyer sur les enjeux de « femmes, paix et sécurité », ainsi que sur la nécessité de soutenir le rôle essentiel des femmes et des filles dans la résilience des communautés face au changement climatique. En effet, il est crucial que les gouvernements mettent tout en œuvre pour garantir aux femmes d’être systématiquement impliquées et entendues dans les processus de décision liés au climat, du local à l’international, mais aussi que les associations de femmes reçoivent davantage de soutien financier pour mener leurs projets climatiques.

Nous voulons des engagements concrets en faveur de l’égalité de genre, capables de faire la différence sur le long terme »

Ludovica Anedda, chargée de plaidoyer pour Care France
  • Au-delà du plaidoyer porté au sein de CARE France sur les enjeux relatifs à l’égalité de genre dans les pays en développement, comment percevez-vous l’intégration de ces enjeux dans les pratiques et le fonctionnement des ONGs françaises ?

Il y a des efforts importants en cours dans la transversalisation du genre dans les pratiques et le fonctionnement des ONGs françaises, surtout grâce à la mobilisation de la Commission Genre de Coordination SUD. Cette coordination française des ONGs de solidarité internationale conduit des activités de sensibilisation, développe des recommandations et permet de partager les outils entre associations. Il reste encore à faire mais nous y travaillons à travers le partage d’expériences, le plaidoyer inter-associatif et une véritable volonté à questionner nos pratiques internes.

Chez CARE France, nous avons obtenu en 2020 le label « égalité professionnelle entre les femmes et les hommes » de l’AFNOR (Association française de normalisation, en charge de coordonner l’élaboration des normes, de les homologuer et de promouvoir leur utilisation). Nous sommes conscient·e·s que cela ne signifie pas que tout est parfait dans notre mode de fonctionnement. Nous devons continuer à évaluer régulièrement nos pratiques et être prêt·e·s à les adapter. Dans ce cadre, nous avons construit en interne un système d’évaluation, qui, à l’aide d’indicateurs, nous permet de suivre la mise en œuvre de notre charte égalité, d’identifier et de combler les lacunes en matière d’inclusivité et de prise en compte du genre.

  • Qu’est-ce que la communauté des ONGs et associations engagées sur les enjeux de genre attend du Forum Génération Égalité ? Ce sommet organisé par ONU Femmes et co-présidé par la France et le Mexique se tiendra du 30 juin au 2 juillet à Paris.

Un point essentiel pour nous est la participation effective des mouvements et associations féministes dans leur diversité, en prêtant une attention particulière à celles qui ne sont habituellement pas autour de la table. Leur mobilisation était la force de la Conférence de Pékin en 1995 : les gouvernements et tous les acteurs et actrices de ce Forum ne doivent pas juste cocher les cases. Ils doivent véritablement prendre en compte les voix et aspirations des féministes, des femmes et des filles, de toutes les personnes transgenres et non-binaires, pour faire face aux inégalités exacerbées par la pandémie. Au début de ce processus, la France, le Mexique et ONU Femmes en tant qu’organisateurs présentaient le Forum comme étant « piloté » par la société civile. Aujourd’hui, la société civile est affichée comme « partenaire » dans ce cadre. Les mots comptent.

Aux niveaux national et international, nous voulons des engagements concrets en faveur de l’égalité de genre, capables de faire la différence sur le long terme : c’est-à-dire des annonces financières transformatives et ambitieuses de la part des gouvernements impliqués. En France, avec le Collectif Générations Féministes, nous veillerons à ce que, notamment à travers ce Forum, la France crée une dynamique positive en faveur de l’égalité de genre à l’échelle internationale, mais soit aussi exemplaire dans ses actes et fournisse des moyens financiers à la hauteur de ces enjeux, particulièrement en matière de violences basées sur le genre.