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TRIBUNE – Ce que les féministes attendaient de la COP26

Virginie Le Masson

Recherche Associée de recherche - ODI

Depuis 10 ans, elles ont le statut d’observatrice au sein des négociations de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. « Elles », ce sont toutes les organisations non-gouvernementales féministes, une trentaine au total, qui sont réunies au sein de la Women and Gender Constituency. Leur objectif : interpeller les États sur la nécessité de mettre la question des inégalités de genre au cœur des solutions de réduction des émissions de gaz à effet de serre et d’adaptation au changement climatique.


Mais à l’issue de la COP26 qui s’est clôturée ce samedi sur un accord en demi-teinte, leur constat est accablant : les engagements actuels des pays riches en matière d’action et de financement pour le climat sont insuffisants et déconnectés des réalités locales. Lors de la manifestation qui a réunie plus de 50 000 personnes à Glasgow, samedi 6 novembre, le bloc des féministes a marché pour faire entendre les voix des activistes qui manquent à l’appel : celles qui n’ont pas pu faire le voyage jusqu’en Ecosse ainsi que celles et ceux qui ont été assassiné·e·s pour avoir militer pour la défense de l’environnement. En 2020, 227 défenseur·e·s des terres et de l’environnement ont été tué·e·s, principalement en Colombie et aux Philippines.

Une parité qui n’est toujours pas respectée

Pour le groupe d’observateur·rice·s féministes, défense des droits humains et réalisation des Objectifs de développement durable vont de pair. Les gouvernements signataires de l’Accord de Paris ne seront pas en mesure de mettre en œuvre des Contributions déterminées au niveau national – les fameuses CDN, qui incarnent les efforts déployés par chaque pays pour réduire ses émissions nationales et s’adapter aux changements climatiques, qui soient ambitieuses – si les droits humains ne sont pas pleinement respectés. Or, les droits humains, surtout ceux des femmes, sont encore loin d’être acquis pour tous et toutes, et cette inégalité influence l’élaboration des politiques relatives aux changements climatiques.  

Premièrement, les femmes sont encore systématiquement sous-représentées parmi les responsables politiques au cœur de la gouvernance climatique. La parité parmi les membres des délégations gouvernementales participant à la COP n’est toujours pas atteinte. En 2018, seulement 38% des délégué·e·s présent·e·s à la COP24 en Pologne étaient des femmes. Même le Royaume-Uni, pays hôte de la COP26, prévoyait d’envoyer une délégation exclusivement masculine à Glasgow. Sous le feu des critiques, la parité de la délégation a finalement été remise à l’honneur, bien que les figures publiques de haut-niveau soient principalement des hommes. L’égalité entre les femmes et les hommes passe par l’égalité de leur pouvoir de décision. Or, même si la parité ne garantit pas que les besoins et priorités des femmes seront pris en considération, leur présence à la table des négociations et dans les médias est la condition sine qua non pour qu’elles puissent les exprimer.

En 2019, seulement deux pays sont gouvernés par une assemblée parlementaire paritaire : le Rwanda et la Bolivie (avec respectivement 61% et 53% de députées, selon les statistiques de l’OCDE). Ce manque de parité est dommageable pour l’ambition des négociations car il est démontré que la représentation des femmes au Parlement conduit leur gouvernement à adopter des politiques plus ambitieuses en matière de changement climatique. Il existe en outre une corrélation entre l’augmentation des parlementaires femmes et la réduction des émissions de CO2 par habitant·e au travers de l’adoption de lois en faveur de l’environnement.

En 2019, seulement deux pays sont gouvernés par une assemblée parlementaire paritaire : le Rwanda et la Bolivie.

VIRGINIE LE MASSON, co-directrice du Centre de recherche sur le genre et les catastrophes à l’University College de Londres

Rendre visible les inégalités pour mieux les corriger

Deuxièmement, les inégalités de statut social et d’opportunités économiques entre hommes et femmes persistent dans la majorité des pays et expliquent que les femmes aient des besoins et des intérêts différents des hommes, mais renforcent également leur exclusion des postes de décision. Le degré de ces inégalités varie d’une région à l’autre et au sein même des pays ; elles vont du décrochage scolaire des jeunes adolescentes – souvent en raison des mariages et des grossesses précoces – à la discrimination de leur droit à l’héritage ou de propriété, en passant par l’écart persistant de rémunération entre hommes et femmes ou le partage inégal des tâches domestiques et familiales. Ces différences exercent des influences multiples sur les capacités des personnes à se prémunir des risques liés aux aléas naturels ou à s’adapter aux changements environnementaux, particulièrement dans les contextes de crises et ou la sécurité sociale est inexistante.

Rendre visible ces inégalités et leurs conséquences sur le développement social est nécessaire pour que les politiques publiques y répondent plus justement. La transition énergétique, par exemple, ne résoudra pas les inégalités si l’emploi et les profits générés par cette dernière servent uniquement une minorité. Ainsi, aux États-Unis, les femmes et les minorités ethniques n’occupent respectivement que 20% et 35% des nouveaux emplois dans les énergies renouvelables. A l’inverse, elles occupent les trois quarts des métiers de l’aide sociale et de la santé publique – des secteurs souvent ignorés des priorités politiques en matière d’investissement et d’adaptation.

Aux Etats-Unis, les femmes et les minorités ethniques n’occupent respectivement que 20% et 35% des nouveaux emplois dans les énergies renouvelables. A l’inverse, elles occupent les trois quarts des métiers de l’aide sociale et de la santé publique – des secteurs souvent ignorés des priorités politiques en matière d’investissement et d’adaptation.

VIRGINIE LE MASSON, co-directrice du Centre de recherche sur le genre et les catastrophes à l’University College de Londres

Le droit des femmes à défendre l’environnement

Troisièmement, le retour de flamme contre la société civile qui milite pour les droits des femmes et pour la protection de l’environnement, s’ajoute aux violences sexistes et sexuelles dont les femmes et les filles sont quotidiennement les premières victimes. En mars 2016, Berta Cáceres une militante écologiste hondurienne et fer de lance des manifestations contre le projet de barrage hydroélectrique d’Agua Zarca, était assassinée. En juillet dernier, un tribunal hondurien a reconnu un ancien responsable du secteur de l’énergie dont la société avait obtenu le contrat, coupable d’avoir aidé à planifier le meurtre. Assassinats, menaces de mort, violences en ligne contre les jeunes activistes de Fridays for Future, sont autant de moyens employés pour faire taire les revendications des défenseuses des droits humains et de l’environnement. Même au sein des négociations de la COP, les femmes subissent du harcèlement sexuel.

Assassinats, menaces de mort, violences en ligne contre les jeunes activistes de Fridays for Future, sont autant de moyens employés pour faire taire les revendications des défenseuses des droits humains et de l’environnement.

VIRGINIE LE MASSON, co-directrice du Centre de recherche sur le genre et les catastrophes à l’University College de Londres

Les féministes exigent que la mise en œuvre de l’Accord de Paris s’attaque aux inégalités sociales. Plus de diversité dans la gouvernance climatique parmi les expertises et les opinions qui façonnent les discours sur les objectifs d’atténuation et d’adaptation, est nécessaire pour que les orientations politiques résonnent chez le plus grand nombre et soient davantage en adéquation avec les réalités des populations les plus impactées par les changements climatiques. Les autres revendications restent inchangées- les mêmes depuis des décennies : l’arrêt de l’exploitation des énergies fossiles, la fin des subventions publiques pour les industries polluantes, le respect des droits humains et la protection de la biodiversité.

Cette tribune est publiée en collaboration avec 50/50 Magazine.