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TRIBUNE – #MeToo n’a rien à voir avec la cancel culture

Kharoll-Ann Souffrant

Recherche Doctorante - Université d'Ottawa - Canada

Face à ceux qui crient à la “culture du bannissement” et réclament la “présomption d’innocence”, j’avance que la réalité est plus complexe et que le message de #MeToo est multiforme.

Ce mercredi 30 juin a débuté à Paris le Forum Génération Égalité organisé par ONU Femmes et co-présidé par la France et le Mexique pendant ce premier semestre 2021. Parmi les sujets cruciaux de ce rassemblement international en matière d’égalité des genres, nommons la question des violences sexuelles envers les femmes, un sujet hautement d’actualité à l’heure des mouvements de type #MeToo, #MoiAussi et #BalanceTonPorc. Face à ceux, si nombreux, à crier “cancel culture” et “présomption d’innocence” lorsque l’on songe à ces mouvements sociaux nés en ligne, particulièrement depuis octobre 2017, j’avance que la réalité est en fait beaucoup plus complexe que l’on pourrait le penser.

#OnVousCroit : reconnaître la pandémie fantôme

D’une part, il n’existe pas un, mais plusieurs mouvements #MeToo. D’abord, il y a eu la campagne MeToo de 2006, de la militante et organisatrice communautaire Tarana Burke qui s’inscrivait davantage dans une perspective de sororité et de justice sociale par, pour et avec des survivantes issues des communautés noires et de milieux défavorisés aux États-Unis. Puis, il y a eu ce fameux tweet de l’actrice américaine Alyssa Milano, dans la foulée du scandale Weinstein, en octobre 2017. Ce tweet visait à récolter des témoignages de victimes de violences et de harcèlement sexuels. Le but était d’évaluer, de manière exploratoire, la prévalence et l’ampleur de ce fléau sociétal.

Son ampleur témoigne de l’incapacité de l’ensemble des pays du monde à éradiquer le fléau que sont les violences sexuelles, une pandémie dont on ne dit pas le nom.

La réponse fut sans équivoque. Des millions de personnes survivantes ont pris la parole en l’espace de quelques heures. Puis, il y a tout ce que ce mouvement est devenu, bien malgré lui, à travers le monde. En France, au Québec, mais également en Inde, en Chine ou encore dans le monde arabo-musulman. En somme, le message de #MeToo est multiforme, mais universel. Son ampleur témoigne de l’incapacité de l’ensemble des pays du monde à éradiquer le fléau que sont les violences sexuelles qui font office d’une pandémie dont on ne dit pas le nom.

La “cancel culture” ou culture du bannissement

Le mouvement #MeToo est souvent associé à une mouvance que l’on appelle la “cancel culture” ou la culture du bannissement, des pratiques qui peuvent être résumées par le retrait temporaire ou définitif des individus de l’espace public ayant été dénoncés pour avoir commis des violences sexuelles. Or, voir les choses ainsi est profondément réducteur. Le mouvement #MeToo est la résultante du manque d’écoute de nos institutions juridiques et de nos sociétés vis-à-vis des besoins divers des personnes survivantes de violences sexuelles.

Il y a une “panique morale” qui s’opère actuellement autour de cette “culture du bannissement”.

Selon la professeure en études des médias de l’Université de Virginie, Meredith D. Clark, il y a une “panique morale” qui s’opère actuellement autour de cette “culture du bannissement”. Elle estime que ce type de pratiques a toujours existé, que ce soit par les pétitions ou l’appel au boycott. Elle inscrit également la culture du bannissement dans le contre-pouvoir que représentent les réseaux sociaux. Aujourd’hui, tout citoyen, y compris quand il est issu d’une communauté historiquement marginalisée, peut répondre aux élites médiatiques et politiques et exiger mieux de celles-ci. Ce citoyen peut aussi produire un narratif qui fait contrepoids aux discours dominants et qui tendent à caricaturer sa réalité. Le fait d’être critiqué ne constitue pas en soi de la cancel culture, mais fait partie d’un processus de responsabilisation de ceux qui détiennent le pouvoir. Il s’agit aussi pour chacun de pouvoir exercer sa liberté d’expression. L’exercice de la critique est en réalité une preuve de la santé du débat véritablement démocratique et libre, et ce, par le choc des idées.

Les failles de l’appareil judiciaire criminel en matière de violences sexuelles

La preuve de la faiblesse de l’appareil judiciaire criminel, même dans des pays qui se targuent d’être progressistes en matière d’égalité des genres, n’est plus à fournir. La vaste majorité des violences sexuelles perpétrées, malgré leur illégalité avérée dans de nombreuses juridictions, demeurent impunies, voire décriminalisées. Ainsi, ce qu’il faut comprendre des mouvements tels que #MeToo est le message intrinsèque des survivantes de violences sexuelles qui exigent mieux de nous, collectivement. Nous devons faire front face à la culture du viol qui gangrène toutes les sociétés du monde, face à cette tendance sociétale à placer les victimes sur le banc des accusés, au sens propre comme figuré, tout en déresponsabilisant les agresseurs du même trait, du même souffle.

Ce qu’il faut comprendre des mouvements tels que #MeToo est le message intrinsèque des survivantes de violences sexuelles qui exigent mieux de nous, collectivement.

Au final, osons rêver que le Forum Génération Égalité sera l’occasion de réfléchir à des alternatives en matière de justice qui sauront ouvrir l’entonnoir de possibilités en matière de réparation pour les personnes survivantes, sans se limiter à l’arène judiciaire criminelle. Pour que chaque personne survivante puisse y trouver véritablement son compte dans le respect de ses besoins et de son autodétermination.

Cette tribune a été initialement publiée sur le site du Huffington Post.