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Trois questions à Moana Genevey, du réseau Equinet

Moana Genevey

Métier Chargée des politiques de genre - Equinet

Moana Genevey est chargée de politique de genre au sein d’Equinet, le réseau européen des organismes de promotion de l’égalité. Les missions d’Equinet sont notamment de fournir une assistance légale et gratuite aux personnes victimes de discrimination et de produire des rapports et études sur les questions d’égalité. Equinet cherche également à influer sur les lois au niveau européen pour que celles-ci soient le reflet de la lutte contre les discriminations et d’égalité partout en Europe. Moana est en charge des politiques de genre dont les questions LGBTQIA+. Elle pilote à ce titre un groupe de travail qui rassemble une trentaine d’expert·e·s de ces organismes au sein duquel sont organisés des échanges d’expériences et de bonnes pratiques ainsi que des sessions de renforcement de capacités.

A l’approche du Forum Génération Égalité à Paris, nous avons échangé avec elle sur la place des questions de genre et d’égalité au sein de l’Union européenne.

Expertes Genre : Quel regard portez-vous sur la législation européenne visant à atteindre l’égalité de genre ainsi que sur sa mise en œuvre à l’échelle des États ? Pouvez-vous nous donner des exemples de « bons élèves » et au contraire de « mauvais élèves » parmi les États membres sur certaines thématiques ?

Moana Genevey : L’Union Européenne est novatrice car elle utilise ouvertement le concept d’intersectionnalité – concept visant à révéler la pluralité des discriminations de classe, de genre et de « race » parmi d’autres identités – depuis 2019. L’intersectionnalité est un outil essentiel pour s’attaquer aux discriminations et aider les personnes qui en sont les plus victimes. Elle a ainsi fait de nombreuses stratégies où l’intersectionnalité est ouvertement mentionnée (stratégies sur l’égalité de genres, sur les questions LGBTQIA+, un plan d’action sur le racisme, sur le handicap etc.) et la Commission dit qu’elle adopte une approche intersectionnelle des discriminations. Et plus récemment, le 5 mars, il y a eu une proposition de directive sur la transparence des salaires avec un article qui se réfère à l’intersectionnalité.

L’UE est aussi novatrice sur d’autres points. Je pense notamment à une directive de 2006 sur l’égalité des genres au sein du monde professionnel dans l’Union européenne, dans laquelle il y a une définition du harcèlement sexuel. Elle dit qu’un seul acte, s’il est assez grave, peut constituer du harcèlement sexuel. C’est une définition qu’on ne retrouve pas dans toutes les législations nationales et qui pose donc un standard assez haut.

L’UE vient aussi de demander qu’il y ait partout en son sein une forme desuivi et que les employeurs soient beaucoup plus transparents pour permettre aux victimes de discriminations salariales d’être davantage au courant de ce qui se passe et de pouvoir porter plainte plus facilement. Le fait d’avoir demandé qu’il y ait des institutions indépendantes dans chaque pays de l’UE pour traiter les discriminations de genre et accompagner les victimes est aussi quelque chose de novateur.

Après, dans certains cas, cela reste un standard minimum qui ne va pas nécessairement faire avancer les choses sur le plan social. Je pense notamment à la directive sur l’équilibre vie privée / vie professionnelle, sortie en 2019. Elle propose dix jours de congé paternité, ce qui est insuffisant si on veut de vrais changements dans la prise en charge des tâches domestiques à la maison dans les couples hétérosexuels. Cependant, c’est un début et si, dix jours dans certains pays c’est risible, en Suède c’est par exemple 60 jours, dans d’autres pays, il n’y avait pas de congé paternité.

Sur d’autres sujets comme les violences basées sur le genre, les meilleurs instruments ne sont pas ceux de l’Union européenne mais celui du Conseil de l’Europe : la Convention d’Istanbul (NDLR : premier instrument juridiquement contraignant au niveau pan-européen qui offre un cadre juridique complet pour la prévention de la violence, la protection des victimes et la fin de l’impunité des auteurs de violences), que l’UE souhaite ratifier. Si l’UE la ratifie, cela forcerait tous les États membres à signer et à ratifier cette convention. Pour l’instant c’est très compliqué car il y a des États qui bloquent comme la Hongrie et la Pologne mais aussi la Bulgarie, la Croatie et la Slovaquie. Il y a une vraie force politique organisée par des groupes de pression religieux catholiques qui s’oppose à la convention d’Istanbul. Ce qui fait qu’en attendant on n’a pas de standard très haut au niveau de l’Union européenne pour lutter contre les violences faites aux femmes. Cela a poussé la Commission européenne à lancer récemment une feuille de route pour étudier la possibilité de produire une directive sur les violences faites aux femmes.

En ce qui concerne les « bons et les mauvais élèves », la réalité n’est pas toujours l’image qu’on s’en fait. Par exemple, au Danemark, qui fait pourtant partie des pays scandinaves réputés progressistes, il n’y a que dix jours de congé paternité et en plus il y a une forte pression sociale qui fait que peu de pères prennent des congés en pratique. En fait, cela dépend des sujets. Si on prend l’exemple de Malte, c’est très intéressant parce que sur les questions LGBTIQIA+ le pays a été très en avance, notamment à travers une loi sur la reconnaissance des personnes trans et intersexes. En revanche, l’avortement y est totalement interdit. L’Union Européenne est novatrice car elle utilise ouvertement le concept d’intersectionnalité, outil essentiel pour s’attaquer aux discriminations et aider les personnes qui en sont les plus victimes. »

L’Union Européenne est novatrice car elle utilise ouvertement le concept d’intersectionnalité, outil essentiel pour s’attaquer aux discriminations et aider les personnes qui en sont les plus victimes. »

Moana genevey, Responsable des politiques de genre au sein du réseau européen equinet

Expertes Genre : On assiste actuellement à une remise en cause de certains droits sexuels et reproductifs dans des pays de l’Union européenne, particulièrement le droit à l’avortement comme en Pologne. Quel est le rôle des institutions publiques européennes promouvant l’égalité face à de telles situations ? Ce rôle devrait-il évoluer ?

Moana Genevey : Tout d’abord, l’UE n’a aucune compétence pour légiférer sur une harmonisation des droits sexuels et reproductifs, c’est une compétence des États membres. C’est donc très difficile de faire quelque chose de contraignant. Pour l’instant, ce qui est fait est plutôt de l’ordre de la déclaration politique, à travers les résolutions du Parlement européen sur le droit à l’avortement en Pologne par exemple, mais cela n’a pas de valeur juridique.

Sur le plan de la soft law, des mesures non contraignantes, l’Union européenne a sorti l’année dernière une stratégie sur l’égalité des genres pour 2020-2025. C’est assez novateur car cela faisait longtemps que l’UE n’avait pas eu de vision politique forte sur ce sujet. En réalité, la Commission d’Ursula von der Leyen est, sur les questions d’égalité, un peu plus novatrice et progressiste que la précédente. Il y a notamment une commissaire européenne à l’égalité qui a été nommée pour la première fois, Helena Dalli.

Dans cette stratégie, il est mentionné pour la première fois que seront encouragés les échanges de bonnes pratiques entre les États membres sur les questions de genre et de santé et notamment sur la question des droits et santé sexuels et reproductifs. C’est très fort sur le plan politique. Le terme « échanges de bonnes pratiques », c’est très light en termes politiques mais c’est déjà quelque chose à souligner.

Ce qui est intéressant, en revanche, c’est qu’en ce qui concerne l’action extérieure de l’UE, on a, dans cette même stratégie, des termes un peu plus forts avec la mention du fait que la Commission européenne va défendre les défenseur·se·s des droits humains et notamment les femmes qui défendent l’accès aux droits sexuels et reproductifs. Mais c’est seulement pour l’action extérieure et la même chose n’est pas faite au niveau intérieur alors que des États au sein de l’UE ont des législations très strictes au regard du droit à l’avortement.

Malheureusement l’Union européenne ne peut pas faire beaucoup plus sur ce point car cela ne fait pas partie des compétences prévues par les traités. Ce qui est à l’étude par la Commission, notamment avec la Pologne, c’est la question de l’accès aux fonds européens et de les conditionner au respect de certains droits fondamentaux. L’avortement n’en fait pas partie, à la différence du non-respect des droits des personnes LGBTQIA+.

Expertes Genre : Le Forum Génération Égalité, rassemblement mondial pour l’égalité de genre organisé par ONU Femmes et co-présidé par le Mexique et la France célébrant les 25 ans de la Déclaration de Beijing, se tient cette année. Alors que le segment français du Forum se déroulera du 30 juin au 2 juillet, quel rôle devrait jouer l’Union européenne dans ce cadre selon vous, notamment sur le plan diplomatique et dans ses relations avec les autres États parties prenantes de l’évènement ?

Il est très compliqué pour l’UE d’avoir des positions communes sur les questions soulevées dans le cadre du Forum Génération Égalité car, au sein même de l’UE, il y a des États qui vont s’opposer à l’utilisation de termes comme « genre », « droits et santé sexuels et reproductifs », « LGBTQIA+ » etc. Ce qui serait bien, c’est que la Commission européenne ait une position un peu forte et une position de leader de défense des droits des femmes, notamment car, depuis 2019, la Commission est plus progressiste sur ces questions, et parce que cela reste très important politiquement.

Après, à mon avis, l’UE n’est pas en très bonne position pour donner des leçons car les droits des femmes sont en recul dans un certain nombre de pays européens. C’est un équilibre à trouver entre avoir une position commune, notamment sur la question des violences basées sur le genre, pour montrer que l’UE fait un travail très profond sur l’égalité et parce qu’elle a fait des efforts pour faire avancer l’égalité au sein des États membres, et rester humble, parce que dans des pays comme Malte ou la Pologne, le droit à l’avortement est parmi les plus stricts. Il y a beaucoup de reculs aussi sur les questions LGBTQIA+ et des pays opposés à la Convention d’Istanbul. 

L’UE a plus de légitimité à se positionner sur certains sujets que sur d’autres, notamment en matière de justice économique car l’égalité salariale est par exemple inscrite dans les traités fondateurs, même si cela n’avait pas été pensé avec un objectif de progrès social. L’obligation de congé paternité sur tout le territoire de l’UE est aussi novatrice, de même que le fait d’avoir des grilles de transparence des salaires et d’avoir des outils législatifs forts de lutte contre le harcèlement sexuel au travail.